Drawful

Il s’agit, certes, d’un jeu vidéo, mais il se joue comme un jeu de société. Drawful fait partie d’une compilation, le Jack Box Party Pack, comprenant également d’autres jeux intéressants comme Fibbage et l’incontournable You Don’t Know Jack. Drawful se distingue cependant par son game design brillant. S’il fallait faire une analogie, je dirais qu’il s’agit d’une version Pictionary du fameux Dixit qui a gagné nombre de récompenses pour son génie de conception.

Dans Drawful, chaque participant voit apparaître une définition loufoque qu’il doit ensuite représenter en la dessinant au doigt, sur son téléphone. Ça peut être “Everybody knows that you are bald” ou “Building eater hamster”. Une fois que tout le monde s’est exécuté, un premier dessin apparaît alors sur l’écran de télévision et tout le monde, sauf son auteur, doit proposer sa propre définition. Le double but du jeu pour ceux qui essayent de deviner est non seulement de donner la bonne proposition, mais également d’en donner une suffisamment crédible pour tromper les autres participants. Une fois que tout le monde a proposé quelque chose, toutes les suggestions sont affichées anonymement à l’écran, mêlées indistinctement à la définition originale. Il ne reste plus aux joueurs qu’à sélectionner la réponse qu’ils pensent juste et prier pour que ça ne soit pas celle d’un autre.

Vient ensuite le décompte des points. Grosso modo (je n’ai plus les chiffres en tête), c’est 2 points récoltés pour avoir trouvé la bonne réponse et 1 point engrangé pour chaque adversaire qui aura sélectionné, à tort, votre définition. Quant à l’illustrateur, il gagne 2 points par joueur qui aura bien deviné grâce à son talent au dessin. Le classement est ensuite mis à jour et la manche suivante commence, avec le dessin d’un autre joueur.

Le génie de Drawful, outre les fous rires que les dessins et les propositions loufoques peuvent apporter façon Cards Against Humanity, vient résolument de son game design. Les jeux, dans la grande majorité des cas, provoquent la compétition sur la divergence des objectifs. C’est souvent le joueur A contre le joueur B. Le joueur A doit faire perdre le joueur B et le joueur B doit faire perdre le joueur A. Ces objectifs sont exclusifs et ne peuvent pas se superposer.

Il existe toutefois quelques exceptions. Les jeux coopératifs, comme le très bon Ghost Stories, demandent à tous les joueurs de s’entraider pour gagner tous ensemble.

Ou bien encore les jeux dits de coopération-compétition. Dans ces derniers, si l’objectif est bien d’accomplir une tâche commune, il existe également un sous-niveau de victoire pour la place du meilleur joueur. C’est donc du “tout le monde perd ou un seul gagne”. Four Swords Adventure, sur GameCube, en est une bonne illustration.

Dans une manche de Drawful, c’est beaucoup plus flottant. Car même si le but du jeu, au final, est de marquer le plus de points, si on pose sur le papier les objectifs de victoire de tous les joueurs sur chaque manche, on se rend compte que certains peuvent à première vue concorder. Regardons le premier d’entre eux, qui est aussi le principal :

**- Le joueur qui a dessiné espère que tout le monde trouve la bonne réponse.

À première vue, on peut se dire que si tout le monde trouve la bonne réponse, tout le monde a à y gagner ! Sauf qu’il y a un deuxième plan de jeu. Car le joueur qui ne dessine pas donne deux inputs lors d’une manche : il propose une réponse, puis il en choisit une. Il y a donc deux résolutions pour ces deux actions. Cela implique un second objectif et s’il ne concerne pas directement le joueur qui a dessiné, il est en complète contradiction avec son propre objectif.

- Le joueur qui n’a pas dessiné espère que tout le monde se trompe et choisisse sa propre proposition.

Ainsi, sur un premier plan, la réussite individuelle de ceux qui ne dessinent pas impliquera automatiquement la réussite de celui qui dessine. Nous serions donc dans un cas de réussite collective. Sauf que sur le second plan, les échecs des uns et des autres, s’ils sont bien canalisés, permettent à un joueur unique de remporter beaucoup plus de points au détriment de tout le monde. Bref, un cas réussite individuelle.

Dans sa façon de mêler intérêts individuels et collectifs, le système de jeu de Drawful a beaucoup en commun avec le dilemme du prisonnier, cet exemple fameux qui illustre parfaitement la théorie des jeux. Bien sûr, la principale différence vient du fait que les interactions ne se font pas uniquement sur un choix tactique, mais également sur sa compétence au dessin et sa faculté à inventer un mensonge crédible. Malgré cela, c’est certainement cet entremêlement si complexe des intérêts des uns et des autres qui rend Drawful si intelligent, si subtil et si amusant. En plus, bien sûr, des dessins extrêmement moches et des propositions idiotes de ses petits camarades.